Une
nouvelle journée commence aujourd’hui, et je me retrouve confronté à un grave
dilemme. Résumons la situation : l’actualité est somme toute assez
désolante, voire carrément inquiétante sur certains aspects. Mais en même
temps, je ne peux pas passer mon temps à me lamenter sur ce que pourraient être
nos vies. Donc je décide de faire des trucs, notamment écrire une nouvelle
chronique (parce que le rythme a vachement diminué quand même…). Du coup, je me
plonge dans l’actualité cinématographique, qui est plutôt chargée en ce moment,
avec une liste de films que j’aimerais voir longue comme le bras d’un joueur de
basket, et un besoin en sommeil beaucoup trop élevé pour me permettre de mener
à bien le projet totalement surréaliste d’être parfaitement à jour sur l’actu
ciné.
Non non, ce n'est pas une partouze |
Pire
encore, les quelques uns que j’ai pu voir ne m’inspirent absolument rien
d’intéressant à raconter. A titre d’exemple, je suis allé voir Seuls et Split
récemment, et honnêtement, je n’ai pas grand-chose à en dire à part le fait que
les deux titres mis ensemble font une allitération un peu sommaire mais sympa.
Pour l’anecdote, Seuls est cool, pas trop mal foutu, mais le twist de
fin est pas hyper original – même si très inattendu. Split de son côté
est super bien réalisé, haletant et rythmé, mais je trouve qu’il ressemble à
n’importe quel film avec un psychopathe dedans.
Du
coup, j’ai décidé de vous parler d’un film sur lequel j’ai envie d’écrire
depuis un moment. En effet, il y a quelques temps déjà, j’avais écris une
chronique sur Moi, Daniel Blake, réalisé par Ken Loach. Aussi déprimant
que soit le film, je l’avais quand même trouvé particulièrement intéressant,
aussi ai-je décidé de m’intéresser à ce que faisait le bonhomme. Je me suis
donc procuré une partie de sa filmographie, et j’en ai regardé quelques uns.
J’ai commencé par La Part des Anges, film sorti en 2012, dont nous
allons parler aujourd’hui. Je vous annonce tout de même que ça va spoiler sans
vergogne, parce que ce que j’ai envie de dire concerne la conclusion du film.
Donc si vous ne voulez pas vous gâcher la surprise, regardez-le avant de lire
la chronique.
De quoi que ça parle-t-il donc ?
L’histoire se passe à Glasgow et nous parle de
Robbie, un jeune délinquant qui écope d’une peine de travaux d’intérêts
généraux pour des actes de violence sous l’influence de l’alcool. Ce n’est pas
la première fois qu’il est confronté à la justice puisqu’il a déjà purgé une
peine de prison. Sauf qu’il apprend par la même occasion qu’il va être papa, et
décide donc de rentrer dans le droit chemin. Il participe aux travaux
d’intérêts généraux et tente de se racheter une conduite.
Mais
son passé de délinquant lui colle à la peau : alors même qu’il se hâte
vers l’hôpital où sa copine est en train d’accoucher, il se fait cueillir et
rosser par les oncles de cette dernière qui lui interdisent d’aller la voir, ou
même d’approcher de l’enfant. Perdu et désemparé, la seule personne à lui venir
en aide est son éducateur, Henri. Il décide de prendre Robbie sous son aile,
ainsi que trois autres délinquants : Rhino, un type au demeurant fort
sympathique dont je n’ai pas retenu grand-chose de plus que ça – honte sur moi,
il avait peut-être une vie tragique et digne des plus belles chansons –, Albert,
un jeune alcoolique totalement paumé mais surtout particulièrement con et Mo,
la cadette du groupe, grande kleptomane devant l’éternel.
Mission Impossible, c'est des p'tits joueurs à coté de ces types là! |
Et
cette fine équipe – hem –, il va les initier aux plaisirs et subtilités du
whisky, un art séculaire en Ecosse, et sans doute une très mauvaise idée si
l’on prend en compte le rapport à l’alcool d’Albert. Sauf qu’il s’avère que
Robbie est particulièrement talentueux dans ce domaine. Il perçoit les nuances
et les variations dans les liquides ambrés à la perfection, et se découvre très
vite capable de reconnaître les plus fameux grands crus. Va-t-il pouvoir
exploiter ce don ?
Cela
s’annonce difficile : son passé de délinquant l’empêche de trouver un
travail stable qui lui permettrait de faire vivre sa copine et son fils. Pire
encore, l’un des hommes avec qui il a eu des… « divergences » qui lui
ont valu de finir en prison lance à sa poursuite toutes les petites frappes
sous sa coupe. Robbie se retrouve suivi, menacé, cogné. Pour couronner le tout,
les oncles de sa copine veulent tellement le voir disparaître de la vie de leur
petit neveu qu’ils sont prêts à le payer pour qu’il refasse sa vie… le plus
loin possible de Glasgow. Grosse ambiance quoi.
Mais
notre héros ne se laisse pas abattre ! En effet, il a vent de la mise en
vente prochaine, dans une distillerie des Highlands, d’un whisky
exceptionnel : une cuvée inconnue retrouvée dans les décombres d’une très
ancienne distillerie. C’est peut être le meilleur whisky au monde, et le
tonneau sera vendu aux enchères. Une idée lui vient.
Il met
sur place avec son commando de bras cassés – ouais parce que faut les voir,
Rhino, Albert et Mo, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils ont pas inventé
l’eau tiède – un plan pour s’emparer d’une partie du contenu de ce tonneau. Un
plan simple mais beau, se basant sur l’expression populaire en
distillerie : la part des anges, cette partie du volume d’un alcool qui
s’évapore lors de son vieillissement en fût. Puisque c’est un phénomène
naturel, qui ira questionner la disparition d’une portion de l’alcool présent
dans le fût de ce somptueux grand cru ? Leur stratégie est alors
évidente : se rendre dans la distillerie où le tonneau sera mis aux
enchères, s’arranger pour s’y faire enfermer, prélever le volume calculé, puis
s’enfuir discrètement.
Nous
suivons donc le périple de notre quatuor de fortune, et conformément à nos
attentes, ils parviennent à récupérer le précieux liquide. Mieux encore, ils
retrouvent l’intermédiaire d’un riche inconnu amateur de whisky, et ils
parviennent à lui vendre une bouteille pour une somme rondelette – mais genre
bien rondelette, style bonhomme Michelin – mais aussi en échange d’un emploi
pour Robbie dans une distillerie loin de Glasgow. Tout est bien qui finit bien
pour notre délinquant, qui peut enfin quitter la ville avec sa femme et son
fils et reprendre une vie normale, à l’abri de son passé trouble.
Mais alors, quoiqu’il faut retenir de ce flim ?
Bon,
vous noterez que je suis allé assez vite sur l’histoire, tout simplement parce
qu’elle est assez simple. Tout l’intérêt des films de Ken Loach réside
justement dans ces histoires simples, pas forcément remplies de divertissement,
mais pleines de scènes vivantes et réalistes qui nous rendent les personnages
attachants au possible.
En
fait, tout le problème avec Ken Loach, c’est qu’il est assez difficile de
rendre hommage à ses films en en parlant. Les histoires sont souvent simples,
et comme il veut dépeindre des scènes quotidiennes, proches de nous, forcément,
sur le papier, ça ne fait pas rêver. Exit – ou plutôt Brexit – les figures de
style, les rebondissements, les grandes destinées. Ce n’est pas ça qu’il veut
nous montrer. Son truc, c’est le réel, celui qui est froid, parfois banal,
souvent attendu, mais toujours touchant, toujours vibrant. Regarder un film de
Ken Loach, c’est comme se plonger dans la vie de notre voisin. Certes il ne s’y
passe rien de trépidant, mais c’est un univers connu, des valeurs et des
repères que nous connaissons, des problèmes que nous pourrions rencontrer et
qui nous prennent aux tripes.
Bref,
je vais cesser de me répandre en éloges, exagérations, palabres et hyperboles
pour vous donner cet unique et précieux conseil : regardez un film de Ken
Loach. Prenez n’importe lequel, et plongez vous dans son univers à la fois
commun et captivant.
Mais
entrons dans le vif du sujet, et parlons de la fin du film. Plus exactement,
parlons d’Happy End. Je pense que je ne vais rien apprendre à personne en
affirmant qu’une Happy End, c’est globalement une fin heureuse. En fait on peut
même aller un peu plus loin : de façon générale, une Happy End peut se
définir comme une fin de film pendant laquelle un personnage bon et vertueux l’emporte
sur les épreuves qui lui ont été imposées, souvent par des personnages
immoraux.
Promis m'sieur l'agent, on est des vrai écossais! |
Ce qui
a d’intéressant avec le Happy End, c’est que souvent ils sont assez mal vus
dans le cinéma mainstream car considérés comme un peu clichés, ou trop peu
inattendus. Parfois on leur reproche même de défendre une morale aseptisée très
éloignée de la réalité – genre « les gentils gagnent toujours ».
Alors qu’en fait c’est assez faux : un film dans lequel un héros vertueux
gagne à la fin contre les méchants corrompus (comme dans un Marvel par exemple)
défend la même morale qu’un autre film dans lequel le héros corrompu meurt tué
par la justice (comme dans Scarface par exemple). Pourtant seul le
premier sera vécu comme un Happy End.
Bref,
après ce petit moment de philosophie pour débile profond, revenons à notre
sujet : la fin de La part des anges me laisse perplexe. En effet,
de prime abord, le film se termine bien : Robbie parvient à échapper à son
passé de délinquant. Sauf que la méthode utilisée est pour le moins…
discutable. Car si on regarde de plus près, c’est en poursuivant ses activités
criminelles qu’il a pu s’en sortir. Donc finalement, la thèse du film, c’est
que le seul moyen pour les criminels de s’en sortir… c’est de continuer à être
des criminels en fait… Peut-on vraiment estimer que c’est un Happy End dans ces
conditions ? Un vrai Happy End aurait été que Robbie trouve un travail et
parvienne à se sortir de la fange tout en restant dans le droit chemin.
Ce que
je trouve d’autant plus étrange dans cette fin, c’est que contrairement à Moi,
Daniel Blake, qui dénonçait la société qui n’aide en rien les chômeurs à
sortir du chômage, ici je n’ai pas l’impression qu’il dénonce quoique ce
soit : finalement ce qui fait que Robbie est obligé de rester criminel, c’est
plus les autres criminels que le reste de la société. D’ailleurs, par le biais
d’Henri, on a même l’impression qu’au contraire, on lui fournit autant d’aide
que possible.
De ce
fait, je ne sais que penser de cette fin. Parce qu’autant au début j’étais
content de voir Robbie pouvoir emmener sa copine et son fils vers une vie
meilleure et je me sentais parfaitement satisfait avec cette Happy End tout à
fait entendu mais non moins agréable.
Mais après coup je me suis
retrouvé à penser qu’en fait, les délinquants se tirent tellement la bourre
entre eux, que la seule porte de sortie qu’il leur reste, c’est la magouille.
Donc un criminel ne peut foncièrement que rester un criminel, même en essayant
de changer. Et d’un seul coup, mon Happy End dont j’étais très content a volé
en éclat pour devenir une prise de conscience assez froide sur les conditions
de vie de certains délinquants ou anciens délinquants. J’avais d’un coup la
désagréable impression qu’on m’avait forcé à réfléchir sans me demander mon avis,
et totalement à l’insu de mon plein gré par-dessus le marché.
Je suis ressorti du visionnage du
film avec l’impression d’un message beaucoup plus subtil, beaucoup moins tape à
l’œil – mais d’autant plus percutant – quand on le compare avec Moi Daniel
Blake, qui exposait vraiment une situation problématique en nous la livrant
de façon très brute, très abrupte, mais donc plus émotionnelle, plus épidermique. Ici, j’ai plus senti une réaction réflexive, une déduction guidée doucement vers sa conclusion à lui. Ce très
cher Ken est bien pernicieux !
Mais j’interprète
peut être un peu trop là-dessus. Je ne saurais que vous conseiller de regarder
le film pour vous faire votre propre idée, et éventuellement de venir donner
votre avis en commentaire !
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