mercredi 8 mars 2017

La Part des Anges



                Une nouvelle journée commence aujourd’hui, et je me retrouve confronté à un grave dilemme. Résumons la situation : l’actualité est somme toute assez désolante, voire carrément inquiétante sur certains aspects. Mais en même temps, je ne peux pas passer mon temps à me lamenter sur ce que pourraient être nos vies. Donc je décide de faire des trucs, notamment écrire une nouvelle chronique (parce que le rythme a vachement diminué quand même…). Du coup, je me plonge dans l’actualité cinématographique, qui est plutôt chargée en ce moment, avec une liste de films que j’aimerais voir longue comme le bras d’un joueur de basket, et un besoin en sommeil beaucoup trop élevé pour me permettre de mener à bien le projet totalement surréaliste d’être parfaitement à jour sur l’actu ciné.
Non non, ce n'est pas une partouze
                Pire encore, les quelques uns que j’ai pu voir ne m’inspirent absolument rien d’intéressant à raconter. A titre d’exemple, je suis allé voir Seuls et Split récemment, et honnêtement, je n’ai pas grand-chose à en dire à part le fait que les deux titres mis ensemble font une allitération un peu sommaire mais sympa. Pour l’anecdote, Seuls est cool, pas trop mal foutu, mais le twist de fin est pas hyper original – même si très inattendu. Split de son côté est super bien réalisé, haletant et rythmé, mais je trouve qu’il ressemble à n’importe quel film avec un psychopathe dedans.
                Du coup, j’ai décidé de vous parler d’un film sur lequel j’ai envie d’écrire depuis un moment. En effet, il y a quelques temps déjà, j’avais écris une chronique sur Moi, Daniel Blake, réalisé par Ken Loach. Aussi déprimant que soit le film, je l’avais quand même trouvé particulièrement intéressant, aussi ai-je décidé de m’intéresser à ce que faisait le bonhomme. Je me suis donc procuré une partie de sa filmographie, et j’en ai regardé quelques uns. J’ai commencé par La Part des Anges, film sorti en 2012, dont nous allons parler aujourd’hui. Je vous annonce tout de même que ça va spoiler sans vergogne, parce que ce que j’ai envie de dire concerne la conclusion du film. Donc si vous ne voulez pas vous gâcher la surprise, regardez-le avant de lire la chronique.


De quoi que ça parle-t-il donc ?
                 L’histoire se passe à Glasgow et nous parle de Robbie, un jeune délinquant qui écope d’une peine de travaux d’intérêts généraux pour des actes de violence sous l’influence de l’alcool. Ce n’est pas la première fois qu’il est confronté à la justice puisqu’il a déjà purgé une peine de prison. Sauf qu’il apprend par la même occasion qu’il va être papa, et décide donc de rentrer dans le droit chemin. Il participe aux travaux d’intérêts généraux et tente de se racheter une conduite.
                Mais son passé de délinquant lui colle à la peau : alors même qu’il se hâte vers l’hôpital où sa copine est en train d’accoucher, il se fait cueillir et rosser par les oncles de cette dernière qui lui interdisent d’aller la voir, ou même d’approcher de l’enfant. Perdu et désemparé, la seule personne à lui venir en aide est son éducateur, Henri. Il décide de prendre Robbie sous son aile, ainsi que trois autres délinquants : Rhino, un type au demeurant fort sympathique dont je n’ai pas retenu grand-chose de plus que ça – honte sur moi, il avait peut-être une vie tragique et digne des plus belles chansons –, Albert, un jeune alcoolique totalement paumé mais surtout particulièrement con et Mo, la cadette du groupe, grande kleptomane devant l’éternel.
Mission Impossible, c'est des p'tits joueurs à coté
de ces types là!



                Et cette fine équipe – hem –, il va les initier aux plaisirs et subtilités du whisky, un art séculaire en Ecosse, et sans doute une très mauvaise idée si l’on prend en compte le rapport à l’alcool d’Albert. Sauf qu’il s’avère que Robbie est particulièrement talentueux dans ce domaine. Il perçoit les nuances et les variations dans les liquides ambrés à la perfection, et se découvre très vite capable de reconnaître les plus fameux grands crus. Va-t-il pouvoir exploiter ce don ?
                Cela s’annonce difficile : son passé de délinquant l’empêche de trouver un travail stable qui lui permettrait de faire vivre sa copine et son fils. Pire encore, l’un des hommes avec qui il a eu des… « divergences » qui lui ont valu de finir en prison lance à sa poursuite toutes les petites frappes sous sa coupe. Robbie se retrouve suivi, menacé, cogné. Pour couronner le tout, les oncles de sa copine veulent tellement le voir disparaître de la vie de leur petit neveu qu’ils sont prêts à le payer pour qu’il refasse sa vie… le plus loin possible de Glasgow. Grosse ambiance quoi.
                Mais notre héros ne se laisse pas abattre ! En effet, il a vent de la mise en vente prochaine, dans une distillerie des Highlands, d’un whisky exceptionnel : une cuvée inconnue retrouvée dans les décombres d’une très ancienne distillerie. C’est peut être le meilleur whisky au monde, et le tonneau sera vendu aux enchères. Une idée lui vient.
                Il met sur place avec son commando de bras cassés – ouais parce que faut les voir, Rhino, Albert et Mo, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils ont pas inventé l’eau tiède – un plan pour s’emparer d’une partie du contenu de ce tonneau. Un plan simple mais beau, se basant sur l’expression populaire en distillerie : la part des anges, cette partie du volume d’un alcool qui s’évapore lors de son vieillissement en fût. Puisque c’est un phénomène naturel, qui ira questionner la disparition d’une portion de l’alcool présent dans le fût de ce somptueux grand cru ? Leur stratégie est alors évidente : se rendre dans la distillerie où le tonneau sera mis aux enchères, s’arranger pour s’y faire enfermer, prélever le volume calculé, puis s’enfuir discrètement.
                Nous suivons donc le périple de notre quatuor de fortune, et conformément à nos attentes, ils parviennent à récupérer le précieux liquide. Mieux encore, ils retrouvent l’intermédiaire d’un riche inconnu amateur de whisky, et ils parviennent à lui vendre une bouteille pour une somme rondelette – mais genre bien rondelette, style bonhomme Michelin – mais aussi en échange d’un emploi pour Robbie dans une distillerie loin de Glasgow. Tout est bien qui finit bien pour notre délinquant, qui peut enfin quitter la ville avec sa femme et son fils et reprendre une vie normale, à l’abri de son passé trouble.


Mais alors, quoiqu’il faut retenir de ce flim ?
                Bon, vous noterez que je suis allé assez vite sur l’histoire, tout simplement parce qu’elle est assez simple. Tout l’intérêt des films de Ken Loach réside justement dans ces histoires simples, pas forcément remplies de divertissement, mais pleines de scènes vivantes et réalistes qui nous rendent les personnages attachants au possible.
                En fait, tout le problème avec Ken Loach, c’est qu’il est assez difficile de rendre hommage à ses films en en parlant. Les histoires sont souvent simples, et comme il veut dépeindre des scènes quotidiennes, proches de nous, forcément, sur le papier, ça ne fait pas rêver. Exit – ou plutôt Brexit – les figures de style, les rebondissements, les grandes destinées. Ce n’est pas ça qu’il veut nous montrer. Son truc, c’est le réel, celui qui est froid, parfois banal, souvent attendu, mais toujours touchant, toujours vibrant. Regarder un film de Ken Loach, c’est comme se plonger dans la vie de notre voisin. Certes il ne s’y passe rien de trépidant, mais c’est un univers connu, des valeurs et des repères que nous connaissons, des problèmes que nous pourrions rencontrer et qui nous prennent aux tripes.
                Bref, je vais cesser de me répandre en éloges, exagérations, palabres et hyperboles pour vous donner cet unique et précieux conseil : regardez un film de Ken Loach. Prenez n’importe lequel, et plongez vous dans son univers à la fois commun et captivant.
                Mais entrons dans le vif du sujet, et parlons de la fin du film. Plus exactement, parlons d’Happy End. Je pense que je ne vais rien apprendre à personne en affirmant qu’une Happy End, c’est globalement une fin heureuse. En fait on peut même aller un peu plus loin : de façon générale, une Happy End peut se définir comme une fin de film pendant laquelle un personnage bon et vertueux l’emporte sur les épreuves qui lui ont été imposées, souvent par des personnages immoraux.
Promis m'sieur l'agent, on est des vrai écossais!
                Ce qui a d’intéressant avec le Happy End, c’est que souvent ils sont assez mal vus dans le cinéma mainstream car considérés comme un peu clichés, ou trop peu inattendus. Parfois on leur reproche même de défendre une morale aseptisée très éloignée de la réalité – genre « les gentils gagnent toujours ». Alors qu’en fait c’est assez faux : un film dans lequel un héros vertueux gagne à la fin contre les méchants corrompus (comme dans un Marvel par exemple) défend la même morale qu’un autre film dans lequel le héros corrompu meurt tué par la justice (comme dans Scarface par exemple). Pourtant seul le premier sera vécu comme un Happy End.
                Bref, après ce petit moment de philosophie pour débile profond, revenons à notre sujet : la fin de La part des anges me laisse perplexe. En effet, de prime abord, le film se termine bien : Robbie parvient à échapper à son passé de délinquant. Sauf que la méthode utilisée est pour le moins… discutable. Car si on regarde de plus près, c’est en poursuivant ses activités criminelles qu’il a pu s’en sortir. Donc finalement, la thèse du film, c’est que le seul moyen pour les criminels de s’en sortir… c’est de continuer à être des criminels en fait… Peut-on vraiment estimer que c’est un Happy End dans ces conditions ? Un vrai Happy End aurait été que Robbie trouve un travail et parvienne à se sortir de la fange tout en restant dans le droit chemin.
                Ce que je trouve d’autant plus étrange dans cette fin, c’est que contrairement à Moi, Daniel Blake, qui dénonçait la société qui n’aide en rien les chômeurs à sortir du chômage, ici je n’ai pas l’impression qu’il dénonce quoique ce soit : finalement ce qui fait que Robbie est obligé de rester criminel, c’est plus les autres criminels que le reste de la société. D’ailleurs, par le biais d’Henri, on a même l’impression qu’au contraire, on lui fournit autant d’aide que possible.
                De ce fait, je ne sais que penser de cette fin. Parce qu’autant au début j’étais content de voir Robbie pouvoir emmener sa copine et son fils vers une vie meilleure et je me sentais parfaitement satisfait avec cette Happy End tout à fait entendu mais non moins agréable.
Mais après coup je me suis retrouvé à penser qu’en fait, les délinquants se tirent tellement la bourre entre eux, que la seule porte de sortie qu’il leur reste, c’est la magouille. Donc un criminel ne peut foncièrement que rester un criminel, même en essayant de changer. Et d’un seul coup, mon Happy End dont j’étais très content a volé en éclat pour devenir une prise de conscience assez froide sur les conditions de vie de certains délinquants ou anciens délinquants. J’avais d’un coup la désagréable impression qu’on m’avait forcé à réfléchir sans me demander mon avis, et totalement à l’insu de mon plein gré par-dessus le marché.  
Je suis ressorti du visionnage du film avec l’impression d’un message beaucoup plus subtil, beaucoup moins tape à l’œil – mais d’autant plus percutant – quand on le compare avec Moi Daniel Blake, qui exposait vraiment une situation problématique en nous la livrant de façon très brute, très abrupte, mais donc plus émotionnelle, plus épidermique. Ici, j’ai plus senti une réaction réflexive, une déduction guidée doucement vers sa conclusion à lui. Ce très cher Ken est bien pernicieux !
                Mais j’interprète peut être un peu trop là-dessus. Je ne saurais que vous conseiller de regarder le film pour vous faire votre propre idée, et éventuellement de venir donner votre avis en commentaire !

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