Une affiche qui ne présage PAS DU TOUT de la suite |
Ah que
coucou, chers et estimés lecteurs ! Une chronique sans doute un peu plus
courte que d’habitude car je vous en prépare une autre dans la foulée (elle
aussi plus courte) mais surtout un interlude littéraire qui s’annonce pas piqué
des hannetons, c’est moi qui vous le dis. Donc autant vous dire que ça va
défourailler dans les chaumières. Et oui, j’ai conscience que cette allocution
n’a aucun sens. Et que ce n’est pas une allocution.
Sans
transition, le film dont je vais vous parler ce soir est Mademoiselle,
réalisé par Park Chan Wook, avec en rôles principaux Kim Min-Hee, Kim Tae-Ri
et Jung-Woo Ha. Il s’agit, vous l’aurez
sans doute compris, d’un film sud-coréen qui ma foi vaut réellement le détour.
J’étais pour ma part assez curieux, étant très peu habitué au cinéma asiatique
au général. C’était un peu un test donc, et je ne le regrette pas !
De quoi que ça parle-t-il
donc ?
Mademoiselle se déroule
dans les années 1930, époque à laquelle le Japon a commencé la colonisation de
la Corée. Dans ce cadre fort peu reluisant pour les coréens, nous suivons la
jeune domestique Sook-hee (merci Wikipédia pour l’orthographe des
prénoms !), embauchée par la riche héritière japonaise Hideko. Hideko vit
sous l’égide tyrannique de son oncle, un coréen qui est passionné de Japon et
qui est globalement partant pour leur refiler tout le pays. Okay j’avoue, cette
partie là du personnage de l’oncle est un peu floue. Mais d’un autre côté, elle
est assez anecdotique. Du coup, j’en viens à me dire que j’aurais sans doute pu
me dispenser d’en parler.
Passons. Toujours est-il que cet
oncle adore les livres. Notamment les livres rares. Et les livres qui parlent
de sexe. Bref, c’est un collectionneur de livres pornographiques rares, et il
en a une pleine bibliothèque. Mais genre une salle entière. En fait, imaginez
un énorme salon avec pleins de rayonnages qui seraient intégralement remplis de
50 shades of grey. De quoi faire une attaque.
Bon, et dans tout ce joyeux
boxon, Sook-hee débarque au manoir en tant que femme de chambre d’Hideko. Sauf
que c’est un piège : elle s’est en vérité alliée à un faussaire coréen qui
cherche à récupérer l’héritage d’Hideko. Pour cela, il se fait passer pour un
riche Comte japonais, afin de s’attirer les grâces de l’oncle. Lui reste donc à
courtiser la demoiselle, et il compte sur Sook-hee pour l’aider dans cette
tâche ardue.
Mais c’était sans compter sur
les sentiments que les deux femmes vont développer l’une sur l’autre. Plus le
temps passe, et plus Sook-hee éprouve des difficultés à voir le Comte essayer
de séduire Hideko, avec plus ou moins de réussites.
Joie de vivre, volupté et Bibimbap. |
L’amour qui se développe entre
les deux femmes sera-t-il plus fort que l’irrésistible cupidité de Sook-hee et
de son ami faussaire ? Et bien je ne vous le dirai pas. Mais c’est par
égard pour vous : l’histoire de ce thriller est particulièrement prenante
et surprend beaucoup par ses différents retournements. Pour tout vous dire, le
film dure 2h50, et je ne m’en suis même pas rendu compte. Je me permets juste
un petit avertissement : il y a pas mal de scènes de sexe lesbien tournées
de façon très explicite, tendance Youpornienne. Alors à titre personnel, je m’en
contrefous royalement, mais je comprends que ça puisse surprendre, et j’aime
autant prévenir. Vous voilà donc prévenus. Ne me remerciez pas.
Ou alors
juste un peu quand même.
Mais alors, quoiqu’il faut
retenir de ce flim ?
Pour le coup ce long métrage va
me permettre de vous parler d’une chose que j’ai souvent occultée dans mes
chroniques alors que je lui accorde une importance primordiale dans mes goûts
cinématographiques.
Je vais
passer rapidement sur la mise en scène et la photographie, qui sont
impeccables. Le film est très beau à regarder et s’offre quelques plans ma foi
fort poétiques. La mise en scène est efficace mais se permet quelques petites
fioritures pas déplaisantes tout en restant économe sur ses effets. Bref, tout
est dans la parcimonie et le dosage, ce qui permet au film d’être long sans
qu’on s’en rende compte.
Mais ce
qui fait véritablement la force du film, c’est son histoire, et sa narration.
Je m’explique : le film se découpe en trois parties. Une première qui nous
raconte l’histoire vue par Sook-hee, une seconde qui nous relate les événements
tels que vus par Hideko (en remontant un peu plus loin dans le passé, soyons
honnêtes), et une troisième qui fait office d’épilogue. Je ne vais pas vous en
dire trop sur le contenu de ces parties, mais sachez que Park Chan Wook
manipule très bien les informations qu’il donne au spectateur en fonction du
point de vue. A la manière d’un Christopher Nolan, il se joue de nous en ne
nous montrant que tout ou partie de la vérité, mettant à mal notre habitude
d’avoir toutes les informations en main.
C’est
donc pour moi l’occasion de vous parler de Nolan, qui est sans doute l’un de
mes réalisateurs préférés. La particularité du cinéma de Nolan, c’est de jouer
sur nos perceptions et sur nos habitudes de spectateurs pour nous fournir des
informations au mieux incomplètes, au pire totalement fausses. Par exemple,
dans Memento, il nous informe que le personnage a des troubles de la
mémoire, et nous le fait suivre. Instinctivement nous imaginons que nous voyons
les premiers pas du personnage, bien que beaucoup d’indices nous disent le
contraire. Aussi nous tombons des nues lorsque nous nous rendons compte que
toute notre vision du personnage et de ceux qui interagissent avec lui est totalement
fausse : il n’a aucun souvenir d’eux et ils le manipulent complètement. Le
même genre de ressort est utilisé dans Inception, quand le héros nous
montre une toupie comme exemple de totem – l’objet permettant de savoir si l’on
est dans un rêve ou non. Automatiquement, nous allons supposer qu’il s’agit de
son totem, bien qu’il nous dise explicitement que ce n’est pas le cas. Et donc
lorsque arrive la fameuse scène finale, empêchant de savoir si le Happy End que
nous voyons est un rêve du héros ou la réalité, nous sommes évidemment frustrés
de ne pas savoir ! Alors que la réponse est sous nos yeux.
Peut-être que si je fais semblant de pas le voir il va partir... |
D’ailleurs,
Inception est très intéressant d’un point de vue narration avec ses
rêves et donc ses temporalités imbriqués les uns dans les autres. Il contribue
réellement à casser nos habitudes de spectateurs, telles que la linéarité dans
le déroulement des événements ou même concernant notre omniscience de
spectateurs. Il nous épargne notamment toute utilisation de fusils de Tchekhov,
chose qui, à titre personnel, me plaît beaucoup (je trouve le procédé beaucoup
trop souvent utilisé).
Petit
aparté pour expliquer ce qu’est un fusil de Tchekhov : il s’agit d’une
règle – relativement ancienne – de cinéma qui dicte que « si un fusil
apparaît à l’écran, il doit être utilisé à un moment dans le film ». Un
exemple que j’aime bien : dans The Amazing Spiderman de Mark Webb,
au début du film on visite les laboratoires d’Oscorp, et on découvre pas mal de
choses. Notamment un fusil servant à assécher les réserves d’eau (je crois). Et
bien sur, ce fusil sera au centre du plan machiavélique du Lézard pour détruire
New York. Voilà, et personnellement je trouve ça dommage, parce que ça enlève
tout effet de surprise. Mais c’est un avis personnel, on pourrait aussi
détester voir un outil surpuissant apparaître de nulle part sans aucune raison.
Pour
revenir au sujet de Nolan, il a aussi développé une théorie sur les films ou
les œuvres de fiction en général qui me plait beaucoup. Il estime que toute
œuvre de fiction repose sur trois piliers :
-
Son histoire, autrement dit les événements qui
sont racontés
-
Sa narration, autrement dit la façon dont sont
racontés les événements
- Son ou ses personnages, autrement dit la façon
dont ils interagissent avec les événements.
Il estime
que ces trois piliers peuvent être indépendamment modulés par différents
niveaux de complexité, qui vont conditionner la tenue du film. Par exemple, un
film dans lequel les trois piliers sont simples sera un film globalement
simpliste. C’est le cas de beaucoup de blockbusters par exemple. A l’inverse,
un film dans lequel les trois piliers sont complexes court le risque d’être
parfaitement incompréhensible pour la plupart des gens. Par contre désolé, je
n’ai aucun exemple en tête pour ce type là… Je pense que c’est surtout quelque
chose qui se retrouve dans les romans.
De façon générale, Nolan estime
qu’un bon film possède deux piliers simples et un pilier complexe. Par exemple,
Inception possède des personnages simples, une histoire globalement
simple une fois les règles du jeu comprises, mais une narration complexe avec
ses différentes temporalités imbriquées. Memento possède un personnage
simple, une narration simple car chronologique, mais une histoire complexe à
cause du problème mémoriel du héros. Le prestige possède des personnages
et une histoire simple (ce sont deux magiciens en compétition) mais une
narration complexe de par la façon dont elle est racontée – en séparant les
deux points de vue et en les faisant intervenir dans un ordre non
chronologique, coupée de flashbacks. The Dark Knight possède une
narration et une histoire simple mais des personnages complexes, tout en
nuances, en folie et en contradictions.
Néanmoins, je pense à titre
personnel que cette méthode manque d’une composante importante :
l’émotionnelle. Il manque comme paramètre à cette théorie ce qui est propre à
toute production cinématographique : l’image, le son, la mise en scène. Je
la trouve un peu trop rationnelle pour pouvoir véritablement juger toute forme
de long métrage. Cela dit, elle reste un bon prisme pour orienter la géométrie
globale d’une histoire. Un outil très pratique si vous vous destinez à raconter
de la fiction, fusse-t-elle en image ou en écriture, que je vous conseille d’appliquer
aussi souvent que possible. Ne perdez cependant pas de vue que les tripes
comptent autant que le reste ! Surtout en ce qui concerne l’andouillette.