Bonjour à
vous chers lecteurs j’ai une question pour vous : avez-vous déjà essayé de
faire une raclette avec du nutella ?
Je
suppose que non, car l’idée est passablement saugrenue. Pourtant, si on prend
chaque éléments de cette recette séparément – à savoir la raclette d’un côté et
le nutella de l’autre – vous serez sans doute d’accord pour dire que l’on a
affaire à un petit plaisir gustatif tout à fait fameux. Prenons la
raclette : du fromage fondu, un peu de charcuterie, des pommes de terre
chaudes… Je vous vois saliver derrière vos ordis. Et le Nutella : une
onctueuse pâte délicatement parfumée au chocolat et à la noisette, ce petit
plaisir coupable qui fait du bien au moral, mais beaucoup de mal à notre corps
de dieu/déesse grec(que) ainsi qu’à l’écosystème (huile de palme, tout ça
quoi).
La Danse de la Grue, arcane shaolin bien connue |
Mais
alors Jamie, si l’on prend ces deux ingrédients mondialement reconnus comme
jouissifs et qu’on les mélange, on devrait se
retrouver avec le plat ultime, un distributeur d’orgasmes gustatifs par
cargaison, non ?
QUE VOUS
ÊTES NAÏFS !! Enfin je dis ça, mais en vérité j’en sais rien… Cela dit, je
doute très sincèrement que la raclette au chocolat soit un plat qui ait un
intérêt, outre le fait de risquer à la fois le diabète et l’infarctus pendant
un même repas.
Maintenant
que nous avons parlé de cela, vous êtes certainement en train de vous dire que
je suis encore en train d’écrire cette chronique complètement bourré. Et ma
foi, vous n’auriez pas franchement tort, mais il y a tout de même une
excellente raison pour laquelle je me perds en divagations culinaires, et vous
allez vite la comprendre. Car oui, très chers lecteurs, aujourd’hui, je vais
vous parler de La La Land, un film de Damien Chazelle, avec le pimpant
Ryan Gosling et la choupinoute Emma Stone. Et oui, je viens d’utiliser
l’adjectif « choupinoute ».
De quoi que ça parle-t-il donc ?
Ce film
raconte l’histoire de deux âmes liées par le destin : Mia, jeune serveuse
débarquée à Hollywood pour essayer d’y percer en tant qu’actrice, et Sebastian,
pianiste talentueux qui ne jure que par le jazz et qui caresse le rêve un peu
fou de monter son propre bar… de jazz. Totalement par hasard, ils se
rencontrent dans un embouteillage, dans un restaurant, puis à une soirée. A
force de se rencontrer de façon inopinée, ils finissent par tomber amoureux
l’un de l’autre en dépit de leurs différences – vous ne l’aviez pas vu venir
hein ? –, et même par aller dans l’espace – je vous jure que c’est pas une
connerie.
Sauf que
la vie est une pute, c’est bien connu. En effet, Sebastian, pour financer
l’ouverture de son bar et rassurer Mia qui s’inquiète de l’état de leurs
finances, rejoint un groupe de jazz moderne/électro, qui cartonne totalement et
le fait partir en tournée un peu partout. Pendant ce temps, Mia, lassée de se
voir en permanence refusée par des castings, monte sa propre pièce.
Sauf que
cette dernière marche moyen, voire pas du tout, pendant que Sebastian, au
contraire, devient assez vite très connu. Les amants se voient peu, et
finissent par rompre après que Sebastian ait manqué la première de la pièce de
Mia. Accablée par des critiques très mauvaise, elle finit par tout laisser tomber
et rentrer chez elle, laissant Sebastian seul.
Mais le
destin les rattrape : une directrice de casting était présente lors de la
première de la pièce et voudrait auditionner Mia pour un rôle sur mesure. Elle
appelle alors Sebastian, qui fonce la rejoindre chez ses parents pour lui
annoncer la nouvelle. Elle passe le casting de sa vie, pour un film qui va
peut-être lancer sa carrière.
Je
m’arrête ici pour le résumé, car franchement tout est un peu cousu de fils
blancs, on a déjà vu ça mille fois un peu partout, c’est pas le scénario du
siècle. Pour le fun, je vous laisse juste le petit suspens sur ce qu’il se
passe à la fin, parce que bon, on n’est pas des bêtes.
Guééééééééééé |
Mais alors, quoiqu’il faut
retenir de ce flim ?
D’après
ce que j’ai pu voir un peu partout sur le Net, il existe deux catégories de
gens qui ont vu La La Land : les vieux cons réacs qui l’ont trouvé
nuls à chier, et les grands abrutis naïfs qui l’ont trouvé génial. J’ai donc
l’insigne honneur de vous annoncer que je ne serais en aucun cas original, car
j’appartiens plus ou moins aux deux catégories.
On
va commencer par les bons points, parce qu’il y en a. D’abord niveau image, je
les trouve très belles, avec des couleurs soignées et des plans assez
sympathiques qui rendent justice à la ville de Los Angeles, la rendant assez
proche de nous, presque conviviale. On est dans une ambiance visuelle qui est
très chaleureuse, presque intimiste par moment avec une impression de vivre la
vie des gens du commun aux premières loges, et c’est assez agréable. Ça change
un peu du bling-bling.
D’ailleurs,
les personnages sont plutôt dans ce goût là, et je pense que le directeur de
casting a eu du flair en choisissant Gosling et Stone : on donnerait
facilement le Bon Dieu au premier qui joue toujours juste, et la seconde est
tellement craquante et expressive que chacune de ses mimiques et de ses
réactions est criante de vérité. Bref,
grâce à ces deux visages, on s’investit très vite dans l’histoire d’amour et on
éprouve tout aussi vite de l’empathie envers les personnages.
D’un
point de vue musical, c’est aussi plutôt pas mal, avec des morceaux très beaux,
toujours dans le ton, souvent entraînants. Les passages de danse sont aussi
fort agréables, avec une mention spéciale pour la scène nocturne où Mia et
Sebastian se découvrent pendant qu’il la raccompagne à sa voiture après une
soirée.
En
résumé, la partie film, ça va. La partie musique, ça va. Par contre, là où ça
devient n’importe quoi, c’est quand le film nous mélange les deux. C’en est
presque tragique tellement c’est raté par instants. Et je vais expliquer ça en
quelques points.
Le
premier et principal problème, c’est qu’on est systématiquement dans le flou
total quand à la nature du film. Ce n’est jamais totalement un film, et jamais
totalement une comédie musicale. Il y a un très gros souci de définition de
l’univers du film, car on passe sans cesse d’un style à l’autre, sans vraiment
de justification. Par exemple, le film s’ouvre sur une scène musicale et
dansée. Cette scène d’exposition censée nous montrer l’univers dans lequel se
déroule le film devrait donner le ton du reste du long métrage : on va
avoir une comédie musicale des familles, avec son lot de danses, chœurs,
chansons. Sauf qu’au bout de 20-30 minutes de comédie musicale, on se retrouve
dans un film 100% film, sans vraies chansons ni véritable chorégraphie. Puis
d’un coup, ça reprend lors du casting final de Mia. On a l’impression que les
mecs ont commencé par faire une comédie musicale, se sont dit que c’était une
mauvaise idée et ont arrêté, puis d’un coup vers la fin se sont souvenu que les
studios leur avaient demandé une comédie musicale donc ils ont remis des
chansons.
Go go Power Rangers! |
D’ailleurs, j’ai
envie de revenir sur le casting de Mia : le fait qu’elle se mette
soudainement à chanter alors qu’on n’avait presque pas entendu sa voix pendant
les deux séquences précédentes casse totalement la pression de la scène et lui
enlève toute crédibilité. A titre personnel c’est ma plus grande
déception : je commençais enfin à m’attacher au personnage, j’étais à fond
dedans, je voulais la voir donner le meilleur d’elle-même, et j’ai eu le droit
à une putain de chanson. Alors certes une jolie chanson, mais merde quoi, c’est
comme si d’un coup Tarantino faisait chanter ses acteurs en pleine scène
d’action… Bref, toute l’intensité et l’enjeu de la scène partent dans le
siphon.
Pour faire
court, on a un gros problème de définition de l’univers du film. Parce que
comprenez-moi bien : j’adore les comédies musicales. Je n’ai aucun
problème à voir des gens se mettre à danser et chanter au lieu de parler, et
même les chorégraphies les plus loufoques ne me dérangent pas. Sauf que là, bah
on est au cinéma. Et au cinéma, on ne peut pas faire comme au théâtre. Beaucoup
de choses ne passent pas, comme certains pas de danse, ou la baisse des
lumières lorsqu’un personnage chante. Parce que ces éléments ne peuvent pas
faire partie de l’univers du film, pas quand tout le reste est parfaitement
normal. Encore si cela survenait à chaque fois que quelqu’un chante, mais même
pas en plus. C’est totalement
incohérent. Ça l’est tellement que par moment, on ne sait plus vraiment si la
musique fait partie du film – comprenez que les personnages peuvent l’entendre
et donc réagir à celle-ci –, si elle fait partie d’une comédie musicale –
c'est-à-dire que les personnages l’entendent et dansent dessus, mais comme si
cela faisait partie de l’histoire, ils dansent « sans s’en rendre
compte », comme dans une comédie musicale –, ou si la musique est
extérieure au film et seul le spectateur l’entend. C’est le flou total et on se
retrouve surpris que des personnages réagissent à une musique qu’on pensait
qu’ils ne pouvaient pas entendre.
Mais là où ça
devient catastrophique, c’est que ce flou sur l’univers du film s’accompagne de
tout pleins d’erreurs formelles qui renvoient encore plus le spectateurs à sa
condition de spectateur dans une salle de cinéma qui regarde un film. Je
reprends un exemple cité juste avant : la baisse des lumières lorsqu’un
personnage se met à chanter. C’est typiquement un code classique du théâtre et
de la comédie musicale, sauf qu’ici on est ni dans l’un ni dans l’autre. Si on
compare à d’autres comédies musicales comme Le Fantôme de l’Opéra, Les
Misérables ou encore Sweeney Todd, ils n’utilisent jamais ce procédé
car ça détruit totalement l’univers du film, ça sort les personnages d’un
univers cohérent, et ça diminue l’empathie qu’on a pour eux dans la mesure où
on se prend en plein visage que ce ne sont que des personnages de film, donc ce
qui leur arrive a, au fond, peu d’importance. C’est encore pire quand on
rajoute un univers dont les règles changent régulièrement ou même des fautes
dans des codes évidents du cinéma comme la règle des 180 degrés.
Comment ça je suis devant l'écran? |
Tiens bah dans
le genre scène qui part en vrille, la scène dans l’espace. Elle n’a
rigoureusement rien à faire dans ce long métrage. Alors oui, c’est probablement
une métaphore de l’amour qu’ils commencent à éprouver l’un pour l’autre, de ce sentiment
de bonheur et de complétion qui les envahit alors qu’ils trouvent enfin l’amour
de leur vie, et que sais-je encore de mièvreries poétiques. Sauf que nous ne
sommes ni dans un roman, ni dans un recueil de poème, ni au théâtre. Et cette
scène n’a aucune cohérence avec le reste. Encore si le réalisateur en avait
parsemé tout le film, ça passerait. Mais là c’est la seule du genre, et elle
t’agresse le visage en plus avec ses couleurs décapantes et sa musique qui
gagne en puissance par rapport au reste. Et le pire c’est que le film lui-même
fait mieux dans la scène précédente, quand ils sont dans le cinéma, qu’ils se
cherchent l’un l’autre et qu’ils s’apprêtent à s’embrasser. La scène est
beaucoup plus touchante, beaucoup plus réaliste, pleine d’une certaine
maladresse qui la rend charmante malgré son côté ultra cliché.
Je vous le
fais donc en résumé, mon principal reproche c’est que le réalisateur a voulu
mélanger les codes du cinéma et les codes de la comédie musicale. Sauf que j’ai
surtout eu l’impression qu’il ne les connaissait qu’imparfaitement et donc le
mélange ne s’opère pas, un peu comme un cuisinier amateur qui se dirait
naïvement « tiens, si je mélange deux trucs super bons, ça ne peut que
faire un truc super bon ». Sauf que pour faire ça, il faut impérativement
accompagner la démarche d’une rigueur à toute épreuve pour ne pas laisser
passer des fautes et des incohérences énormes. Remettre en question les codes
du cinéma, les mélanger avec d’autres, d’habitude je dis oui – j’ai par exemple
adoré Scott Pilgrim pour son mix entre film et jeu vidéo – mais pas
comme ça, pas n’importe comment, bref, pas comme La La Land.
Ceci étant
dit, le film n’est pas atroce à regarder. Mais je pense qu’il aurait gagné à
être soit totalement un film, soit totalement une comédie musicale. Pas un
mélange des deux.